Du temps pour prendre sa place.

Jeune enseignant dans le département de la Seine Saint-Denis après quelques années dans le monde du travail privé, j’ai eu la chance de redoubler la formation à l’IUFM. Lors de cette deuxième année, j’ai demandé à visiter les classes des enseignants qui accepteraient de me recevoir. J’ai donc découvert de nombreuses classes dont celles d’enseignants en pédagogie Freinet notamment. C’est l’époque où je découvrais le livre de Paul Le Bohec, l’école réparatrice de destins1. Ce fut le début d'une réflexion pédagogique personnelle qui n’a pas cessé depuis.

1. L’inclusion dans la classe

Fraîchement titularisé, je suis arrivé dans une grosse école, dans laquelle il y avait une CLIS2 ancêtre de l’ULIS. Les enfants rencontrant des difficultés étaient inscrits dans une classe et avaient des temps d’inclusion chez les collègues dans des structures dites « ordinaires ». J’ai eu directement un double niveau CM1/CM2 dont personne ne voulait, avec des élèves que j’allais garder sur plus d’une année : j’étais en poste pour au moins deux années.

L’une des grandes difficultés rencontrée par la collègue de CLIS était de trouver des créneaux d’inclusion pour les enfants de sa classe, car les collègues avaient du mal à les intégrer. Cela provoquait pour eux une grosse désorganisation. Pour ma part, je n’avais pas de difficulté avec cela, et nous avons trouvé rapidement des créneaux disponibles dans ma classe. J’avais cependant émis des attentes : les enfants inclus dans ma classe devraient avoir du temps et auraient le choix dans leurs activités. Nous nous sommes rapidement mis d’accord.

1.1 Les outils à disposition

1.1.1 Le plan de travail

En arrivant en classe, les enfants inclus travaillaient en priorité sur leur plan de travail3. C’était un outil simple, juste une liste d’activités négociées avec l’enfant, l’enseignante et moi. Très vite, la négociation est devenue duelle : l’enseignante de la classe ULIS étant en confiance, elle ne participait plus à ces moments.

1.1.2 Le matériel dans la classe

La classe était organisée en ateliers et j’avais la chance d’avoir des ordinateurs en nombre, du matériel à manipuler, une relieuse ou même une imprimante LEGO. Ce matériel était disponible, les enfants pouvaient s’en servir quand ils en avaient besoin en s’inscrivant en amont.

Les enfants inclus exploitaient cet espace de liberté complètement en interrogeant la structure en permanence : « Ai-je le droit de l’utiliser ? », « Je peux le mettre dans mon plan de travail ? », « Moi ça m’intéresse, ça, je peux m’en servir ? ». Ainsi, ils avaient le loisir d’apprendre à utiliser ces outils autant qu’ils le souhaitaient. Petit à petit, par tâtonnement expérimental4, ils devenaient experts dans leur utilisation. Les autres élèves allaient les voir pour leur demander conseil.

1.2 Appartenir à un groupe

Ils pouvaient ainsi avoir une responsabilité spécifique qu’ils prenaient très à cœur : ils guidaient et aidaient les autres. Ils avaient une vraie place dans le groupe et apportaient un savoir-faire indispensable pour que l’on avance. Souvent ces enfants avaient connu la violence institutionnelle à l’école du fait de leurs difficultés. Ils avaient intégré beaucoup de négatif sur eux. Dans la classe, et pendant leur moment d’inclusion, ils devenaient l’égal des enfants « ordinaires ». Ils grandissaient et s’épanouissaient.

Aucune pression des adultes, le regard des pairs changé, une place trouvée : les apprentissages plus traditionnels pouvaient être enfin abordés. Avec la collègue, nous avons mis en place de plus en plus d’inclusions tout au long des deux années où je suis resté dans l’école. Tout le monde a profité de ces moments, que ce soit les enfants inclus, les adultes, mais aussi les enfants de ma classe, dont le regard a évolué positivement au fur et à mesure de ces deux années.


L’exemple d’Olivier

Je me souviens d’Olivier, qui avait déjà deux ans de retard dans son cursus et qui ne lisait toujours pas. Il était arrivé dans l’école et dans la classe avec l’étiquette « enfant violent ». Les premières semaines, il n’a pas démenti cette étiquette.

Une fois l’inclusion mise en place, les présentations faites, il a découvert la relieuse. Elle traînait là à prendre la poussière. La première semaine, il a exploré cet outil de fond en comble, réduisant notre réserve de papiers brouillons quasiment à néant.

Comme il était devenu spécialiste, les enfants lui ont donné leurs productions afin de les sublimer sous forme de livres reliés. Au fil du temps, il a accepté d’apprendre aux autres son savoir et transmettait ses compétences. Il était très pédagogue, calme et surtout concentré. Nous ne le reconnaissions pas.

Une fois les compétences transmises, il s’est enfin penché sur les apprentissages attendus à l'école comme la lecture, l'écriture. Il arrivait enfin à se lancer dans des textes libres courts, mais il écrivait, il se racontait.

C'étaient exclusivement des textes à la première personne, toujours au présent. Il les présentait à ses camarades, toujours.

Quelle fierté pour lui de relier ses textes en petits recueils qu'il pouvait illustrer et distribuer.

Nous avions enfin un support pour travailler la lecture, qui resta difficile, mais Olivier la travaillait ardemment.

Il est resté deux ans dans l’école. Deux années sans difficulté de comportement majeure. Il avait trouvé sa place.


1

Paul le Bohec, _L’école, réparatrice de destins? _2007, L’Harmattan <https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/lecole-reparatrice-de-destins/50075>

4

Le tâtonnement expérimental <https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/32399>